Jeudi 4 mai.
175 km pour 1164 mètres de dénivelé.
Si Montlhéry était un port, sa tour serait un phare, mais comme le vélo c’est aussi de la voile les 59 skippers, sagement alignés, attendent le départ pour un périple les conduisant vers le sud-ouest.
Quelle n’est pas ma surprise de voir mes 2 moustachus et mes 2 barbus, civilement habillés, venir nous encourager pour une aventure à laquelle, pour diverses raisons, ils ne peuvent pas y participer. C’est ainsi que nous partons, encadrés par 4 motards et cadencés par 2 capitaines de route.
Peu à peu, les zones pavillonnaires laissent place à des villages. Saint Chéron, Dourdan et enfin Auneau qui nous offre une petite collation. Désormais la campagne est un immense tableau où se mélangent le jaune des colzas et le vert des blés encore adolescents. Poussé par un vent d’est, le peloton chemine vers Chartres dont les flèches de la cathédrale apparaissent dans le lointain. Malgré beaucoup de cheveux gris ou blancs, nous déjeunons au Centre Régional Jeunesse et Sport.
En partant du chef-lieu, comme le vent, nous changeons de direction pour un trajet plein sud qui s’offre à nous. Quelques nuages menaçants n’entament nullement notre optimisme, le soleil gagne la partie alors que nous flirtons avec les proches collines du Perche. Si les champs se dévoilent en mosaïque, les bois viennent agrémenter une fin de parcours en tout point agréable. Vendôme nous accueille chaleureusement autour d’un pot offert par le club local.
Vendredi 5 mai.
190 km pour 1180 mètres de dénivelé.
C’était prévu, quelques petites gouttes s’invitent sur la ligne de départ, malheureusement le débit s’intensifie. Durant une heure ça gicle d’un peu partout, en haut, en bas et sur les côtés, rien n’est oublié. Heureusement, dans notre direction une large bande colorée de bleu et de blanc apparait dans le lointain, changement de marée sans aucun doute. Nous pénétrons dans la Touraine où le village de Monnaie nous sustente de pièces salées et sucrées. Les routes, semblables à la douceur tourangelle, offrent un macadam qui s’étire en lignes droites jusqu’à Cinq-Mars-la-Pile où « Kiki » tente de nous régaler de sa brandade de morue. Repu par les agapes, le peloton repart sagement, prenant ainsi le temps d’admirer Langeais et son château. C’est ici que nous changeons de rive en traversant la Loire que nous longeons sur une digue. Près de 80 ans plus tard, nous sommes maintenant en zone libre, c’est sans doute pour cela que quelques cyclos, épris de liberté, dérogent aux consignes de sécurité. Adossé à la colline et surplombant l’Indre et la Loire, le merveilleux château d’Ussé apparait. Il est temps de se taire, d’admirer puis de repartir, évitant ainsi de réveiller la Belle au Bois Dormant. Nous entrons dans Chinon où mon envie de contrepèterie m’impose un nichon sur le bord de la Vienne où, à défaut d’une valse, je me mets en danseuse. Délicatement le vent nous pousse à atteindre rapidement Richelieu dont l’empreinte de son fondateur constitue un témoignage remarquable de l’urbanisme du 17éme siècle. La dernière partie de l’étape est une succession de montées et de descentes vers notre terminus situé à Beaumont-Saint-Cyr.
Samedi 6 mai
177 km pour 1870 mètres de dénivelé
Une fraicheur toute relative s’est invitée au départ. Le parcours s’insère dans des bois qui ose nous offrir 50 nuances de vert. Ce matin, détendu et quelque peu muet, le peloton semble discipliner jusqu’à Saint Savin dont l’abbatiale projette son image dans les eaux de la Gartempe. Au pied de l’édifice nous trempons une spécialité locale dans une boisson chaude. Le soleil est présent et donne à nos coureurs des allures estivales. Ici aussi ça monte et ça descend mais dans ce gigantesque toboggan nous prenons le temps d’admirer Lussac-les-Châteaux avant d’atteindre Mouterre-sur-Blourde où parait-il notre présence triple la population communale. Sous la tonnelle ombragée, comme l’an passé, une blanquette de veau nous est proposée. Spécialité locale ou bien les restes de 2022 ? À mon avis, il faut toujours finir les plats. Plus que quelques kilomètres et nous entrons dans la Haute Vienne où l’interminable succession de faux plats et de mal plats aiguise nos mollets. En ce milieu d’après-midi Bellac est en plein carnaval. Dans ce corso fleuri et coloré, les accordéons locaux ont laissé leur place aux résonnances brésiliennes. Avant le terme de l’étape les monts Blond nous offrent une montagne avant de pénétrer dans Cieux. Cependant le paradis nous le trouvons un peu plus loin à Saint-Junien où comme habituellement nous sommes accueillis en héros. Aujourd’hui c’est jour de fête, Charles vient d’être couronné et moi j’ai pris un an de plus.
Samedi 5 mai.
178 km pour 1591 mètres de dénivelé.
Déjà l’ultime étape, nous prenons nos montures pour nous rendre dans cette belle salle communale aux allures théâtrale. Près du comptoir j’aperçois, comme habituellement, cette serveuse dont la poitrine généreuse ressemble trait pour trait au profil de l’étape. Sous un ciel bas et gris nous prenons la direction du sud-ouest. Par moment une petite pluie mouille nos montures et nos étranges silhouettes courbées dont le jaune est la couleur dominante. En ce milieu de matinée nous entrons dans Châlus, c’est ici que le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion fut assassiné, comme quoi en 1199 le brexit était beaucoup plus violent. En peu de kilomètres nous abordons le département de la Dordogne mais surtout l’auberge de La Sobronade où les plats ont la même saveur que le soleil revenu tiédir nos mollets. Désormais le relief s’est assagi, nous longeons l’Isle qui nous emmène paisiblement dans sa large vallée car, ici, les villes ne sont inscrites que sur les panneaux. Nous approchons de notre lieu de destination, mes plus proches amis ne sont pas très loin, Bruno le roi de la poussette, Jean-Marc pompier de son état et extincteur de toute querelle, Jean-Pierre le Cotorep de l’informatique et enfin Stanny notre roi des belges. Ce soir il y aura beaucoup d’émotion, quelques larmes et des chansons, des visages et leurs regards que l’on ne peut pas oublier car unanimement fixés vers un horizon où la recherche avance grâce à quelques coups de pédale et une générosité sans fin.
Jean-Louis Savarin Mai 2023
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